La data au service de la recherche sur le sommeil, Rémy Hurdiel Lab’Océan
Peux-tu te présenter brièvement pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Je suis Rémy Hurdiel, enseignant-chercheur à l’université du littoral Côte d’Opale, et je suis un voileux depuis tout petit. J’ai une expérience plutôt en monotypie en J80 avec quelques résultats sympas, mais pas de course au large. Je n’ai jamais réellement fait de traversée atlantique, juste un peu sur des courses de 350 milles, des courses pas très longues. Et là, c’est ma première transat. Je suis assez excité en fait.
Vous avez une particularité sur votre bateau, le « bateau laboratoire » comme vous l’avez appelé. Racontez-nous.
Comme traverser l’Atlantique sur un bateau en double n’est pas suffisamment difficile, on a décidé de se rajouter un petit défi supplémentaire en équipant ce bateau comme un laboratoire sur le sommeil et la santé. J’accompagne des sportifs, des voileux, sur des courses comme le Vendée Globe, des sportifs dans d’autres disciplines comme la course à pied, l’ultra-cyclisme, etc. depuis 15 à 20 ans. Je les aide à trouver les clés de la gestion de leur sommeil. A chaque fois, je suis confronté à un petit écueil : évidemment ces sportifs sont là pour gagner des courses, faire de la performance, sauf que moi je suis chercheur et il y a plein de choses que j’aimerais bien savoir, que je ne peux pas mesurer. Eux, ils sont là pour la course, ils ne sont pas là pour dédier du temps à la recherche. Donc, l’idée est là pour dédier un peu de temps sur la recherche, de profiter de cette transat pour mesurer des données sur notre sommeil, notre santé, pour essayer de faire appliquer au plus grand nombre les enseignements tirés de cette recherche-là.
Que mettez-vous en place concrètement pendant votre transatlantique ?
Concrètement, une première partie consiste à enregistrer tous nos sommeils, Alex et moi, chacun de notre côté. On a un système qui permet d’enregistrer et de conserver une mémoire de ce qu’on va faire. Ensuite, une deuxième partie sera de regarder les conséquences de la gestion de notre sommeil.
Pour la partie biologique, on a des prélèvements urinaires tous les jours, des prélèvements salivaires trois fois par jour. Même sur la salive congelée dans une glacière à bord.
En fonction de la durée de l’exercice, les dosages salivaires détermineront l’évolution de nos défenses immunitaires (vont-elles rester stables ou vont-elle s’affaiblir ?), c’est en tout cas l’hypothèse.
Ensuite, la partie déclarative avec un système informatique assez simple sur le PC du bord, pour évaluer nos sensations, sommes-nous stressés, anxieux, de bonne humeur ? Ce n’est pas facile d’ailleurs de s’auto-évaluer en termes d’humeur. Et puis, on a des choses un peu plus complémentaires mais compliquées, qu’on contrôlera tous les cinq jours, on verra en fonction des conditions. On regardera comment on régule notre glycémie parce que notre corps sera fatigué et régulera moins bien la glycémie. Il y aura des mesures de variabilité de fréquence tous les cinq jours, pour voir notre fatigue centrale, la façon dont notre système nerveux réagit, sa fatigue aussi. Et enfin, on aura de la polysomnographie, c’est le plus rigolo, car on se mettra des électrodes sur la tête tous les cinq jours, pour voir comment notre sommeil s’adapte à ce sommeil fractionné en mer.
Peux-tu nous montrer ton matériel ?
Bien sûr, alors c’est un peu exigu ici, on a notre fameuse glacière. Alex et moi, nous serons les seuls à manger un cône au milieu de l’Atlantique. En réalité, on a une glacière qui doit congeler les échantillons à -20°C. C’est un vrai défi en termes d’énergie car dans les alizés, ça va tourner plein tube 24 heures sur 24. Là, tu vois, j’ai tous les tubes, utiles quand on va faire soi-même sa petite analyse. Nous avons des petits tampons à mâchouiller pendant 5 minutes pour récolter notre salive et dedans, on va échantillonner les défenses immunitaires. On contrôle aussi le cortisol, qui est une hormone de stress. On le mouille pendant qu’on prépare notre repas et juste avant de manger, on le met dans la glacière.
On a une super collaboration avec l’université des Antilles, car en arrivant, on analysera directement les échantillons. L’idée est de ne pas ramener ces échantillons après. Il y a des analyses à faire obligatoirement en France. Il y a tout un système de lyophilisation des échantillons fait par un collègue de l’université.
Pour mesurer notre glycémie, on utilise des capteurs qu’on peut voir chez les gens qui ont des problèmes de diabète avec une petite pastille qu’on a sur le triceps et qui mesure en continu notre glycémie. Tous les 5 jours, nous mangerons exactement les mêmes repas et idéalement aux mêmes heures pour essayer de voir si on a des différences d’assimilation du glucose. Ça aussi, c’est une super collaboration avec ma collègue chercheuse de Lille. Ça ne se fait pas tout seul, évidemment.
On a aussi un appareil magique appelé un polysomnographe. C’est tout petit et ça nous permet de mesurer notre sommeil et l’activité électrique du cerveau pendant le sommeil. Tous les 5 jours, on le mettra sur notre tête pour dormir avec. On se nettoie la peau très vite et on se colle des patchs à certains endroits, et après, on clipse et appuye sur un bouton. On a essayé d’optimiser ce procédé à l’hôpital car en réalité c’est beaucoup plus long. Là, grâce à un partenaire – ResMed – qui fabrique ça, ils nous ont aidés à vraiment optimiser la mesure facilement. En milieu hospitalier on mettrait 40 minutes alors que là on peut le faire en moins d’une minute. C’est lancé et ça, on le fait tous les 5 jours, tous les sommeils pendant 24 heures. Notre vie sera calculée entre 6h et 6h.
Nous avons aussi des petits capteurs qui nous permettent de garde en mémoire la luminosité. Nos rythmes seront sûrement en fonction de la lumière, ça travaille tout seul, on n’a rien à faire. Ensuite, on a des petits réveils fabriqués par Jimmy et Paul qui sont là avec nous et qui nous filent un coup de main sur la fin de la préparation. Ce sont des réveils qui gardent en mémoire tout ce qu’on a fait. C’est cool car on souviendra à la minute près de déclencher le truc, etc. Et puis on a un autre système de réveil au cas où avec des enceintes car sans vous mentir, on a un peu peur de ne pas se réveiller. On va voir, mais dans tous les cas, on va garder les deux systèmes !
Ce n’est pas un simple réveil car il enregistre le sommeil ?
Exactement. Alors c’est juste déclaratif, c’est comme si c’était toi qui le faisais sur son téléphone en mémoire l’heure à laquelle tu as programmé ton alarme. Si on change les durées, on enregistre la durée prévue de sommeil et finalement ce qu’on a réellement dormi, on a un peu plus de finesse. Jimmy et Paul l’ont designé exprès. Certains réveils ont déjà traversé l’Atlantique en Mini 6.50 ou en IMOCA, donc on sait que ça fonctionne bien. Donc il n’y a pas de raison que sur un Sun Fast 3300 ça ne fonctionne pas ! On est assez confiant là-dessus.
Puis la dernière partie est du déclaratif sur l’ordinateur de bord. On a l’impression que ça fait beaucoup de choses mais on est plutôt bien organisé. Ça devrait bien se faire.
Les échantillons sont lors de la préparation du repas, faut que ça rentre dans notre routine. Quand on mâchouille, on sait qu’on doit passer à l’ordinateur, c’est vraiment optimisé. Il y a 3, 4 clics à faire. Et la particularité, c’est que vous pouvez aller sur sleepsaillinglab.fr. et vous aurez les données du bord en ligne en temps réel. Pas tout, car c’est trop compliqué de tout mettre comme les échantillons ou la polysomnographie. Par contre, en termes de sommeil et notre niveau de stress de somnolence, ce que nous on perçoit, tout est quasiment en live. Et si ça ne marche pas, tournez-vous vers Jimmy et Paul (rires).
Et donc Sleep Sailing Lab est une association que vous avez créé ?
Sleep Sailing Lab est le nom du projet et le fond de dotation USS (Ultra Sport Science) finance des recherches pour étudier les conditions d’exercices plutôt extrêmes. Ils sont très actifs dans la course à pied, dans les marathons comme celui des Sables, l’Ultra Trail du Mont Blanc, etc.
De ces recherches, on en tire bien évidemment des recommandations pour les sportifs eux-mêmes. D’une part, si on considère que notre vie est de l’ultra-endurance, on veut aussi faire la promotion de la santé pour le plus grand nombre, aussi auprès des grands oubliés des plans de prévention santé, qui sont les dirigeants de boîte.
Ce sont des gens hyper exposés comme Alex (son coéquipier). C’est quelqu’un toujours à fond, il prend soin de ses collaborateurs mais assez peu de lui. Sleep Sailing Lab c’est aussi cette aventure : comment raconter et faire de la promotion de santé au plus grand nombre de façon originale, en nous confrontant nous-mêmes à un état de fatigue.
Le fond de dotation est un fond non lucratif, il finance des recherches dans ce sens-là.
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